Crédit photo: Pascal Cournoyer
Le jour où Luc Poirier a perdu 113 millions
Aujourd'hui, pas mal tous ceux qui ont le nez dans l'immobilier au Québec ont entendu parler de ma fameuse transaction avec le gouvernement du Québec, celle de l'île Charron.
C'était au préalable destiné à être un coup fumant, le genre de choses qu'on entend parler, mais qu'on ne voit jamais. Une vente imminente de 128 millions, avec comme acquéreur le Groupe Cholette en partenariat avec la Caisse de dépôt et placement du Québec Je me voyais déjà siroter un martini sur mon yacht, quelque part dans les Antilles. Malheureusement, ça ne s'est pas terminé comme ça. Pour tout dire, je ne l'ai réellement pas eu facile !À priori, j'avais acheté l'île en 2007 dans le but d'y développer un beau projet résidentiel. Juste avant l'achat, j'avais réalisé plusieurs démarches auprès de la ville de Longueuil, de la ville de Boucherville ainsi qu'avec le ministère de l'environnement. Suite à de nombreuses rencontres en personne, toutes les parties s'étaient montrées très enthousiastes envers le projet.
Je croyais alors être en mesure de conduire ce projet à la réussite.
Les premières embûches sont venues avec la médiatisation du projet, puis avec une résistance citoyenne minime, mais très vocale. C'était le discours classique contre le développement immobilier (pas dans ma cours), bien que le terrain en question fût un ancien dépotoir créé par
le dépôt de matières diverses suivant la construction du tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine. Ce que je m'apprêtais à réaliser allait donc être bénéfique, autant pour les futurs résidents que pour l'environnement.
À lire aussi sur VoirGrand
En peu de temps, plusieurs groupes immobiliers s'étaient montrés intéressés à me faire une offre pour l'île. Bien que je n'avais, au départ, pas du tout l'intention de vendre, les montants offerts étaient alléchants. Au moment où j'ai reçu l'offre de 128 millions, la question ne se posait même plus : mon fusil venait de changer d'épaule À ce prix, OUI, j'allais vendre !
Toujours en 2007, j'avais donc accepté et signé l'offre d'achat, très brièvement après l'avoir reçue. Cette montée de joie s'avéra par contre de courte durée, alors qu'au même moment, pratiquement, le gouvernement prenait la décision de m'imposer une réserve de quatre ans. Quatre ans afin qu'il puisse réfléchir au dossier, pour possiblement dire oui, possiblement dire
non.
Dans ce même élan, à la demande du gouvernement, la Caisse de dépôt se retira de la transaction, ce qui la fit tomber le tout à l'eau. Normal pour une île, vous direz! J'en ris maintenant, mais à ce moment-là, l'humeur n'était pas aux plaisanteries.
Plus le temps passait, plus je me sentais pris avec quelque chose qui ne valait finalement pas grand-chose. J'avais tout mis mes liquidités dans l'achat de l'île et je devais continuer à trouver de l'argent pour payer mes factures, dont un prêt de trois millions de dollars à quatorze pour cent d'intérêts. Avec toute cette montagne russe d'émotions, c'était difficile de reprendre espoir.
Avec les intérêts, c'était en plus mathématiquement impossible, dans les mêmes conditions, que je me rende au bout des quatre années de réserve. J'ai pourtant réussi. La peur de tout perdre m'a donné un second souffle, et surtout, m'a mené vers des réflexions que je n'aurais jamais eues autrement. Quand on est dans la merde jusqu'au cou, il ne reste plus qu'à chanter
(Samuel Beckett). Maintenant, passons à la suite. Je vous expliquerai dans mon prochain article comment j'y suis parvenu, mais ce n'était pas simple du tout !
En 2012, la saga renaît de ses cendres. Les médias en parlent à nouveau, veulent savoir où les choses en sont rendues. Le gouvernement affirme avoir négocié avec moi, alors que ce n'est pas du tout le cas. J'en témoigne publiquement Puis de réelles négociations s'entament enfin, menant à une offre formelle de 15 millions déposée par le gouvernement.
Étant donné que celui-ci avait été très clair dans ses intentions de m'empêcher de développer le projet, je n'avais en conséquence par réellement d'autres choix que d'accepter cette offre, très mince en comparaison aux 128 millions que j'avais frôlés quelques années auparavant! Un prix de consolation au goût amer, vous en conviendrez
Pour les amateurs de chiffres, j'ai durant ce temps dû supporter un prêt de trois millions à quatorze pour cent d'intérêt, ce qui donnait environ 420 000 $ en intérêts seulement, tous les ans Sans compter les taxes, approximativement un autre 110 000 $ par année ! Pas besoin de vous dire qu'avec plus de 500 000 $ à supporter en frais seulement, avec en plus le gouvernement qui me dictait les lois et qui s'imposait comme seul potentiel acheteur, la raison m'obligeais à rendre les armes et à accepter l'offre de ce dernier.
Avec du recul, j'éprouve tout de même une grande fierté face à cette interminable saga. Contre toute attente, j'ai tenu mon bout dans des conditions extrêmes. J'en suis finalement sorti plus fort, plus stratégique et encore plus solide mentalement. Aujourd'hui, je ne crois plus être celui qui a cédé ; je suis celui qui a déjoué les pronostics, pour finalement forcer le gouvernement à
acheter une île !
10 dernières chroniques